LAURENT
Jean Anatol [sic] Raoul
Commandant
132ème R.I.
Classe : 1884
Recrutement : Troyes
Mort pour la France le 12 mars 1916
à Mourmelon le Grand (Marne)
Tué à l’ennemi
Né le 31 décembre 1864 aux Riceys (Aube)
Cette
dernière période de tranchée a été aussi calme, aussi paisible que l’autre,
avec notre insouciance de jeunes ns ne pensions même plus à la guerre parfois.
Nous avons travaillé à rendre nos abris plus confortables et plus solides.
A
la relève pourtant la réalité s’est brutalement imposée à nous, un obus est
tombé sur le parapet du boyau de communication quand nous rentrions au
cantonnement, il a blessé deux hommes, et l’un deux est presque mort ds mes
bras. J’en suis encore bouleversé. (Je te donne ce détail par sincérité, pour
ne rien te cacher. Crois bien malgré ça que notre secteur est exceptionnellement
calme. C’est un accident : le premier décès à la compagnie depuis Septembre).
Source : JMO du 132ème R.I. - 12 mars 1916 |
Un
beau soleil, on cause, on rit, et soudain, avant même qu’on ait le temps de
penser au sifflement, une explosion, une seconde d’affolement, une fumée âcre
et noire qui monte, un corps ds une flaque de sang, et des gémissements. Je
suis encore poursuivi par ces gémissements, et ces grands yeux bleus, déjà sans
conscience, cette figure au teint blafard qui ne trompe pas. Le retour a été
lamentable le long des boyaux des boyaux interminables que le dégel avait
transformés en cloaques. Je marchais là tête baissée, moins ému d’avoir été une
fois encore frôlé par la mort, qu’indigné, écœuré par la guerre. Quelle
amertume ! La misère humaine s’étale là ds toute sa grandeur. Le mal
moral, la souffrance, la mort.
J’ai
été apaisé par les paroles du sermon du la montagne : « Heureux les
pacifiques, … heureux ceux qui ont faim et soif de justice car ils seront
rassasiés ». Dans un moment comme celui-là, l’Evangile prend son sens
plein, dit le mot décisif, celui qui console.
Pardonne-moi
de te raconter tout ça, et surtout ne l’inquiète pas davantage. Je te répète
que ce 88 sur le parapet de notre boyau de relève est un accident. La guerre
est la guerre ; mais je te répète que même à la tranchée nous sommes
vraiment peu exposés. Ici naturellement nous ne le sommes pas du tout.
Nous
sommes arrivés vannés. Les boyaux étaient en très mauvais état à cause du
dégel. […]
(Jean
à sa mère – 12 mars 1916)
L'homme mort dans les bras de Jean peut avoir été le commandant Laurent, comme il peut avoir été le soldat tué au même moment par ce même obus.
Jean ne témoigne que d'un seul mort, anonyme aux yeux bleus. Le JMO mentionne deux tués, ne citant que le nom de l'officier. Que ce billet rende hommage aux deux.
HF (3/10/2016)