A propos des "Pièces jointes"

Ces "Pièces jointes" sont un complément au blog 1914-1918 : une correspondance de guerre où sont publiées les lettres échangées pendant la Première guerre mondiale entre Jean Médard et les siens, en particulier avec sa mère, Mathilde. (Pour toutes les informations sur Jean Médard, se reporter au blog de base).

On trouvera ici un billet sur tous les amis ou camarades morts dont Jean évoque le souvenir. Pour chacun :
- sa fiche de "Mort pour la France" avec sa transcription (en bleu) ; toutes ces fiches proviennent du site Mémoire des hommes ;
- tous les textes de la correspondance et des mémoires de Jean Médard le concernant (en italiques) ;
- dans la mesure du possible, une notice biographique (dans un encadré).
Merci d'avance à tous ceux qui pourraient me communiquer des informations me permettant d'étoffer certaines notices, ou tout simplement me signaler leur parenté avec la personne à qui le billet est consacré. (Mon adresse est dans le blog de base, sous l'onglet A propos du blog.)

Les articles sont publiés dans l'ordre des décès, les morts les plus anciens se trouvent donc en bas de la liste. Pour faciliter d'éventuelles recherches, vous trouverez sous la rubrique "INDEX" une liste alphabétique, avec un lien vers chaque article.

vendredi 16 novembre 2018

Charles GRAUSS (1881-1918)

GRAUSS
Charles
Lieutenant
339ème régiment d’infanterie
Classe 1901
Recrutement : Nancy
Mort pour la France le 29 avril 1918
à Jaulzy (Oise), ambulance 3/55
Suites de blessures de guerre
Né le 31 août 1881
à Nancy (Meurthe-et-Moselle)



















Charles Grauss

Source : Scoutopédia

Charles Grauss, né le 31 août 1881 à Nancy, fut l’un des fondateurs du scoutisme unioniste.

Issu d’une famille protestante alsacienne qui s’était réfugiée à Nancy en 1871, il suivit des études à l’École supérieure de commerce de Nancy et à la faculté de droit.

Il fut très tôt actif au sein de l’Union chrétienne de Nancy et de la Fédé (Fédération française des associations chrétiennes d’étudiants) au sein de laquelle il participe à de nombreuses rencontres internationales. Il en devient même secrétaire général en 1906 et y dirige des camps de vacances dès 1907.
En 1910, Charles Grauss devient également l’un des deux secrétaires généraux de l'UCJG (Union chrétienne des jeunes gens) [...]. C’est dans ce contexte qu’il anime, de 1910 à 1914, les camps de Domino, destinés aux lycéens et étudiants.

Il meurt au combat le 29 août 1918 à Jaulzy.



[A l’été 1914, Jean fait partie des étudiants de la Fédé qui secondent Charles Grauss au camp de Domino.]

C’est au camp de Domino que je consacrais le début de l’été. Ce séjour au bord de l’océan, dans cette île d’Oléron, alors complètement ignorée des vacanciers, avec la belle plage, dont nous étions les seuls occupants, ses dunes sauvages couvertes de pins et surtout les retrouvailles entre amis de la Fédé, tout semblait nous promettre des vacances magnifiques.
La réalité fut décevante. Le succès du camp de l’année précédente avait attiré à Domino plus de cent étudiants ou lycéens. Ceux d’entre nous qui avaient accepté des responsabilités se sentaient un peu débordés.
Malgré l’ascendant et la flamme de Charles Grauss il était difficile de rallumer l’ardeur des camps d’autrefois. Une certaine discipline s’imposait. Je passais une partie de la journée, les mains dans l’eau grasse, à diriger des corvées de vaisselle. [...]
Quelques campeurs avaient déjà quitté le camp pour rejoindre leur foyer lorsqu’a éclaté le 2 Août l’annonce de la mobilisation générale. Ce fut le jour du départ de tous les aînés, mobilisables, obligés de laisser la responsabilité et la liquidation du camp à quelques lycéens ou très jeunes étudiants. A la fin du repas de midi avant la dernière séparation, Grauss ne fit pas de discours mais se contenta de lire quelques passages des adieux de Jésus à ses disciples dans l’Evangile de Jean et le récit de l’institution de la Sainte Cène. Nous avons rompu notre pain et bu notre vin sans qu’il n’y ait aucune célébration rituelle et pourtant aucun service de communion ne m’a jamais laissé une impression aussi profonde.

(Jean Médard, Mémoires, été 1914)

[Récit par Roger Jézéquel, lycéen membre de la Fédé, des derniers jours du camp de Domino après le départ des jeunes gens mobilisés]
Domino restait le même. Le ciel bleu dominait toujours les pins, et c’étaient les mêmes dunes où nous nous étions promenés ensemble, où nous avions causé, réfléchi, prié. Le souvenir des bonnes journées restait encore et chaque objet rappelait les absents. Il y avait encore des fantômes de [Charles] Grauss, de [Pierre] Lestringant, de [Albert] Meyer, de [Jean] Médard. Nous savions que vous pensiez à nous.
Je suis moi-même parti du camp le 9 Août.

(Roger Jézéquel à Jean – 2 septembre 1914)

Grauss est dans un fort à Toul – fort Villey-le-Sec. Il est sergent et comme il n’a pas encore tiré un coup de fusil il s’est offert pour faire des reconnaissances en aéroplane. Mais il y a renoncé parce qu’il veut rester auprès de ses hommes très démoralisés. La seule chose qui l’embête c’est qu’il ne s’est pas deshabillé depuis le 2 Août. Naturellement il s’ennuie beaucoup bien qu’il essaie d’avoir de l’influence sur ses hommes.
(Roger Jézéquel à Jean – 9 septembre 1914)

J’ai reçu le « Semeur ». Et toi ? Les pages de Grauss sont vraiment belles et vraies. Ce que je lis ailleurs sur la guerre est souvent du fatras.
(Albert Léo à Jean – décembre 1914)

Mais il faut, comme je l’écrivais à Grauss, il faut absolument que cette guerre ne soit pas pour nous une parenthèse, un point de vue spirituel, mais un élément de notre vie, intégré dedans. Que serait une foi qui ne fonctionne qu’en temps de paix ?
(Albert Léo à Jean – 9 mars 1915)

[De 1915 à 1917, les mentions concernant Grauss ou sa femme, brèves la plupart du temps, sont trop nombreuses dans la correspondance pour toutes figurer ici. Ne pas hésiter à prendre contact avec moi en cas d’intérêt particulier sur le sujet.
Toutes les citations qui suivent datent de 1918, après la mort de Charles Grauss.]

Dîner chez Léo Viguier avec Mme Grauss, sa fille, sa sœur et Albert Meyer [ami proche de Jean, Albert Meyer était aussi le cousin germain de madame Grauss, née Elisabeth Meyer]. Nous avons parlé avec beaucoup de douceur de nos disparus.
(Jean à sa mère – 8 octobre 1918)

A Paris bonne journée. Quand je suis arrivé chez Léo Viguier, elle m’a donné le programme de ma journée que je n’ai plus eu qu’à remplir.
Déjeuner chez Suzanne de Dietrich avec Jeanne Bohin, Albert Dartigues et Lily Kellermann. A propos de cette dernière c’est bien ce que je t’avais dit. La moindre chose qu’on puisse dire c’est que l’attitude de son fiancé a été bizarre.
Reunion intime rue de Vaugirard avec quelques anciens de la Fédération, le souvenir de [Charles] Grauss et d’Alex [Alexandre] de Faye remplissait nos cœurs. [...]
Mme Grauss vit chez Léo Viguier avec sa sœur et sa fille. Je lui ai consacré la fin de la journée. Nous avons dîné ensemble. Elle est sereine et même souriante. Sa fille est tout le portrait de son père, c’est à en pleurer à certains moments.

(Jean à Mathilde – 9 octobre 1918)

J’ai reçu une circulaire de Melle Viguier racontant les derniers moments de Grauss. Cela m’a donné hier une triste bien triste fin de journée. Il s’est éteint si seul, sans une main amie pour le secourir mais le Père était avec lui.
(Mathilde à Jean – 9 octobre 1918)

J’espère que tu me donneras des détails sur votre rencontre avec Mme Grauss comment supporte-t-elle cette terrible épreuve ? Que va-t-elle faire ? Pourra-t-elle s’occuper de la Fédération ?
(Mathilde à Jean – 11 octobre 1918)

La libération s’approche et nos cœurs sont pleins de joie, mais dans toute l’armée la liste des morts ne cesse de s’allonger. Pendant ces derniers mois Charles Grauss, secrétaire général de la Fédé et mon ami Alexandre de Faye ont été tués. Ce n’est pas seulement dans mon amitié pour eux que je me sens frappé, mais dans mon amour pour l’Eglise car ils semblaient destinés à être d’incomparables témoins de Jésus-Christ.
(Jean Médard, Mémoires, automne 1918)



Charles Grauss était le fils de Jean Georges Grauss et de Julie Boss. Il avait épousé en 1911 Elisabeth Meyer. Ils avaient une petite fille, Ghislaine, née en 1913.

Des lettres, des dessins et des objets destinés à sa petite fille sont conservées au mémorial de Verdun.

Ghislaine Grauss est restée célibataire (on le sait car elle est remerciée sous l’appellation « Mlle Ghislaine Grauss » dans un long article intitulé Un groupe d’étudiants protestants en 1914-1918, écrit par Rémi Fabre en 1983. Elle avait alors 70 ans. (Article mis en ligne par Gallica ).


HF (15/11/2018)

Source pour le nom des parents : archives départementales de la Meurthe-et-Moselle, fiche matricule en ligne de Charles Grauss (n° matricule : 1016).

Source pour les informations sur Elisabeth Meyer épouse Grauss et sa famille : Généanet, arbre en ligne de Martine Belliard.